Le 11 Février 2020, jour de la fête de la jeunesse au Cameroun, le rappeur Camerounais Stanley Enow, dans le cadre de la tournée promo de son deuxième album Stanley Vs Enow – sorti en Novembre dernier, s’était lancé le pari d’organiser son concert à l’esplanade de Canal Olympia Douala Bessengue, un lieu de spectacle devenu mythique, tant il accueille des concerts grand public pour de grands artistes internationaux. La dernière grand-messe en date avait été le  Show By Orange, réunissant une kyrielle d’artistes camerounais et le non moins géant Burna Boy, qui avait scotché pas moins de 10 000 personnes jusqu’au petit matin du 22 Décembre 2019. C’est vrai qu’en ce jour festif du 11 Février, il y avait dans la capitale économique plusieurs autres scènes, presque concurrentes, notamment le plateau du Parcourt Vita dans le 5ème arrondissement, où le célèbre groupe togolais Toofan en vedette, a réuni près de 15 000 personnes. Un évènement porté par la marque Top des Brasseries du Cameroun, qui chaque année proposent toujours une scène pendant la semaine de la jeunesse. Mais l’évènement le plus surveillé était celui du CEO de Motherland Empire. Non seulement parce qu’il était quasiment organisé sur fonds propres, mais aussi parce que c’était après un report, car ce concert aurait dû avoir lieu initialement le 28 Décembre dernier. Le défi était donc immense : marquer l’histoire en remplissant Canal Olympia avec un concert 100 % live. Après une communication bien menée, avec des descentes dans les écoles pendant la semaine de la jeunesse, une présence médiatique dynamique notamment sur les réseaux sociaux, le jour J est enfin arrivé.

 Du rap en live, sa mère aux anges

 Pendant sa campagne de communication, le Bayangi Boy partageait sur les réseaux sociaux, comme dans une téléréalité, les images de ce qu’il préparait en cuisine. Et le résultat sur scène a confirmé l’entrainement. Ce n’était pas la première fois que le King Kong se produisait avec un orchestre, mais vu que c’était son évènement, Stanley Enow et ses musiciens ont investi plus d’énergie. Lorsque les hosts Christian Steve Bernard Fonkam et la pétillante Carole Tchameni entonnent en français puis en anglais l’hymne national pour annoncer l’arrivée de l’enfant du pays, beaucoup sont loin de se douter de la mise en scène orchestrée avec la dextérité de Easy Group, le fournisseur en technologie évènementielle, qui a construit une scène aussi belle et confortable qu’un écrin. Comme pour les PAPOSY de Maahlox, Tenor, Magasco, comme pour tous les évènements que réalise cette agence. Comme d’habitude quoi ! Sur une planète aux confins du système solaire, un cataclysme provoqué par des astronautes arborant pavillon camerounais, déclenche la mise en route d’une étoile filante vers la terre, et la météorite qui va atterrir ô Cameroun, Berceau de nos ancêtres, selon la vidéo que projettent les écrans, n’est autre que le King Kong. Le public emporté par les rifts de cuivre et les swings de guitares, découvre au milieu des fumigènes, Stanley Enow, drogué d’assurance, points en l’air comme le gorille délivré dans le célèbre film hollywoodien. Tout de noir vêtu, T-Shirt grande taille et baggy, lunettes blanches style 3D, et baskets de couleur blanche également, collier clinquant au cou, portant un énorme médaillon qui laisse le premier venu lire son nom. Le swag, seconde nature de l’artiste, est au rendez-vous. La star du jour est entourée de danseurs en tuniques vert et jaune doré, qui accompagnent le rappeur sur l’intro de King Kong, un titre qu’on retrouve plutôt sur son premier album Soldier Like Ma Papa. Sur les instruments de musique, que des numéros 10 dans la team, tous bien connus des chaumières musicales du pays. Alexis et Moka aux chœurs, Cédric et Samy Mahop aux pianos, à la guitare électrique Simplice Kengne, habitué du Lounge Opium à Douala, il a déjà accompagné nombre de grands artistes, comme Etienne Mbappe, charlotte Dipanda, et pas seulement. A la basse, Michel Ngansoh de la fameuse écurie des beaux garçons de Deido, et à la batterie, le plus jeune de la bande, Guyzo. Mais aussi un DJ.

 C’est leur doigté professionnel qui malgré des couacs, va amener Stanley Enow jusqu’au bout de son live. S’égrènent tour à tour bounce, caramel, adore you, work hard . Et quand il revient avec un nouvel accoutrement sur le titre Good Day extrait de l’album Stanley Vs Enow, il va avoir la surprise de la soirée : le SyNaMurCa (Syndicat National des Musiques Urbaines du Cameroun), lui a concocté un gâteau d’anniversaire, car 3 jours plus tôt le 8 Février, Stanley célébrait un an de plus. Krotal le président dudit syndicat, accompagné d’autres figures comme Les Clés Son Of God ou encore Tony Nobody, profitera de l’occasion pour lui remettre une distinction honorifique en récompense de sa carrière déjà riche mais encore prometteuse. Tout ça en présence de sa mère. Une femme imposante, vêtue en jogging Louis Vuitton, et dont la voix forte et éloquente lui donne une parole presque évangéliste, heureuse d’avoir donné au monde l’une des stars du hip hop africain. Impossible de résister à un bisou et un câlin maternels, tellement l’émotion est dévastatrice. Le King Kong poursuit avec le tube de l’album, My Way en fraternelle compagnie de Tzy Panchak, sans Locko, empêché par d’autres obligations. « My Way, la chanson des warmen, ceux qui veulent gagner beaucoup d’argent en 2020. 100 000 dollars au bas mot », scande Stanley, repris par un public surchauffé et conquis, estimé à plus de 3000 personnes, bouteille de Spécial Limonade pour dompter la soif. Deux d’entre eux, à la faveur d’un concours de danse, ont pu repartir avec des cadeaux particuliers et ont rejoint la galaxie de Samsung, la marque que recommande désormais le King Kong. Un deal d’ailleurs à nouveau conclu avec le fabricant coréen pendant la campagne de com sur le concert. Et c’est en remerciant son public que Stanley Enow finira son odyssée, avec le titre qui l’a révélé il y a 6 ans, qui déclenche toujours autant de frissons, Hein Père, toujours aussi saisissant en vibe et en lyrics, revisité musicalement avec un zeste de reggae. On aurait souhaité quand même écouter en live davantage de chansons de l’album en promotion, notamment le feat Oh Yeah avec Petit Pays – d’ailleurs certains attendaient beaucoup le Rabba Rabbi, ou encore le feat Love avec Fally Ipupa. Sur une table de l’équipe d’organisation dans les backstages, j’ai aperçu sur une fiche un chiffre marqué sous le budget : 20 Millions de FCFA. Confirmé par un membre de la team Motherland Empire, son label.

 L’autotune

 Quand on se renseigne sur wikipedia, on apprend qu’ « initialement, l’Auto-Tune est un logiciel correcteur de voix permettant de chanter juste. Mais, quand on pousse les réglages à l’extrême, le traitement, jusqu’ici transparent et naturel, prend un caractère artificiel, donnant à la voix un aspect « métallique ». C’est ainsi qu’il est rentré au fil des ans comme une norme dans la culture musicale en général, et du hip hop en particulier, à tel point qu’il est souvent associé à des artistes comme T-Pain, ou même Booba, qui en ont popularisé l’utilisation. Chose encore plus récurrente dans les musiques électro. En gros, depuis bien longtemps, l’autotune ne sert plus seulement à masquer les lacunes d’un mauvais chanteur, mais davantage à générer un effet voulu, tant que l’effet est agréable, un effet spécial pour ajouter une valeur à la performance musicale. Et c’est l’expérience qu’a recherché Stanley pendant une partie de sa prestation. Il faut surtout se rappeler que le rap en lui-même est né dans un contexte où des MCs posaient des mots sur des bouts de musiques funk ou disco coupés et samplés en boucle par des DJs. Ce que des puristes de l’époque pouvaient trouver totalement absurde et contre nature…

 Une armée de guests.

 Stanley avait annoncé plusieurs guests. Et le public en a eu pour son compte. Même si les attendus internationaux comme Diamond Platnumz, Ariel Sheney ou Fally Ipupa n’ont pas pu être là, les autres ont témoigné d’un soutien rare à l’égard du King Kong. Dj Kenny de la R.D. Congo, l’actrice Nigeriane Angela, mais surtout une forte présence des artistes camerounais. Lauren B, Stéphane Akam et sa brillante prestation live de Che Woue, Franko, Koppo, Janea, Meshi, Blaise B, Dj Moyo, Dj Labastille, ont assuré avant l’entrée en scène du Bayangi Boy. Il a eu ensuite la bonne idée d’inclure les autres dans son set, prenant le soin d’introduire certains, et laissant à d’autres la latitude d’introduire les suivants : Krotal venu léguer une partie de sa richesse trentenaire, Magasco de retour de Bangangté, et même Mr Leo, Kameni, Gomez qui étaient auparavant sur la scène du Parcourt Vita. Par la suite, Petit Bozard le détecteur de gué, Lesline et sa touchante reprise live de My Way, mais aussi l’humoriste Cabrel Nanjip, Mr Shyne, Aveiro Djess, dont le groupe de danseurs la Bibizaine Team, inventeur de la danse de Rambo, accompagnait Stanley depuis le début. Le tout sous le regard reproductif de Kobe Williams, chalk painter, qui tirait simultanément sur une ardoise noire le portrait de Stanley Enow inspiré de la cover de l’album, au bout de sa barre de craie blanche. Dans un milieu où l’égo règne constamment, rarement on avait vu les jeunes artistes camerounais aussi soudés derrière l’un des leurs. Dans les loges, autre délégation forte d’artistes et personnalités, des médias et de la culture: entre autres Numerica, Daphne qui a également fait une brève apparition sur scène, et par hasard la star franco-camerounaise Thomas Ngijol … Tous venus montrer que malgré l’environnement difficile de l’industrie musicale en particulier, et du climat des affaires en général, le meilleur peut être atteint pour ceux qui travaillent fort et en commun.