Hier je regardais sur Canal + Family un documentaire animalier qui parlait du peuple aquatique. Et entre deux révélations sur la faune et la flore des fonds marins, la voix off (féminine, plutôt suave lol) a dit que dans l’eau il y a des grands et des petits poissons. Et il arrive souvent que les petits soient mangés par les gros. La loi de la chaîne alimentaire quoi.

Dans le monde des artistes aussi, il existe des grands artistes. Mais contrairement à la démographie aquatique, aucun chroniqueur ne saurait qualifier un artiste de petit, même si ce dernier fait la même taille que Petit Mayombo, le bout d’homme gabonais qui fait rire toute la toile. Et je ne dis pas ça pour remettre du kérosène sur le feu, mais dire qu’un artiste est petit, c’est planter peut-être les conditions d’une troisième guerre mondiale. Et c’est pareil quand vous dites qu’un artiste n’est pas grand. Car par opposition, il conclura que ce qui n’est pas grand est forcément petit. Surtout si celui qui l’affirme est lui-même artiste.

Ça peut alors donner des douleurs même à un comprimé de Maalox, qui estime pourtant que sa grandeur antibiotique n’est plus à démontrer. Et ne venez pas faire croire que ce n’est pas la taille qui compte, même si le géant Koffi Olomide avait dit qu’être grand ne signifie pas mesurer 3 mètres. Mais bien sûr ici on ne parle pas de la grandeur physique. On parle bien de la grandeur spirituelle, non palpable, qu’on ne peut voir ni toucher. C’est cette grandeur que vous octroie votre travail. Et en cette matière, c’est très difficile de trouver l’unanimité. Car l’estime que vous aurez de votre grandeur, sera peut-être en dessous ou au dessus de la grandeur que vous définissent les autres. Ainsi, au sein de l’opinion, vous resterez grand aux yeux de certains, tandis que d’autres vous trouveront moins grand, ou carrément petit. Les critères sont tellement nombreux. Et toujours subjectifs. Parce que la créativité humaine dans tous les domaines est toujours marquée par la diversité. Les réseaux sociaux et leurs algorithmes de likes ont déjà fondé la grandeur sur la popularité et l’influence qu’une entité peut avoir sur les gens. La capacité qu’une personne morale ou physique peut avoir sur un maximum de personnes, dans le sens de les amener à adopter un comportement nouveau. Mais seulement ce paradigme n’est pas forcément le même pour tous. Richard Bona réussit bien à impacter le monde entier, le Cameroun y compris, sans avoir des millions de vues sur Youtube. Ce n’est pas sûr que les chansons de Youssou N’dour sont jouées partout dans tous les maquis d’Abidjan, et le sénégalais n’a pas non plus des milliards de vues et de followers sur la toile, pourtant en 2017 dans une interview, un chanteur de zouglou/coupé décalé a estimé que le guide du Super Etoile de Dakar est un grand artiste, comme le pensent aussi de nombreux fans et d’ influents labels de notation dans le monde entier. Voilà donc la grandeur. Une donnée subjective, et relative. L’art en lui-même étant très abstrait au jugement, chaque contenu ayant sa cible. Ce que je trouve agréable à l’écoute et profondément symphonique, tu peux le trouver ennuyeux et fade. Tandis que je peux juger une œuvre cacophonique et bruyante, là où tu célèbres du grand art. Encore que je peux en même temps aimer une douce chanson d’écoute, en même temps qu’un rouss kass kass de Dj Arafat quand je suis au Twist le soir… Des goûts et des couleurs quoi. A la sortie en 1977 du mythique We Are The Champions, tube planétaire du groupe Queen, le leader Freddie Mercury fit paradoxalement face à une vive critique de la presse anglaise, qui trouvait que le groupe, quand même auteur du noble et complexe bohemian rhapsody, était descendu bien bas, avec des lyrics trop faciles, et un refrain paresseux qui touche les basses sensibilités du premier venu … En gros ils estimaient que le groupe essayait de racoler les masses, de plaire à tout le monde !

En outre, contrairement à l’exemple du monde des poissons, où certains par la nature de leur espèce restent éternellement petits, ou grands, il arrive bien souvent que des artistes sous-cotés deviennent grands, et même géants comme Burna Boy, tandis que des sommités tombent comme des châteaux de cartes, en désuétude. Même si bien sûr après le statut de la grandeur, l’on peut conserver son badge de légende, à vie.

Mais à vrai dire, quand le grand art te touche, tu n’as pas besoin de quelqu’un pour t’apprendre à le ressentir, même si on a parfois besoin d’une certaine éducation/formation pour savoir apprécier un certain type d’art. Quand une musique ou une voix te donne des frissons, tes poils se hérissent tout seuls. Et c’est ça le rêve de tout artiste : toucher la sensibilité des gens. Si une personne déjà est touchée, c’est gagné. Après, ça dépendra de l’intensité de l’impact, des moyens de communication et de promotion engagés pour la diffusion de l’œuvre, pour que la grandeur de l’artiste atteigne une communauté plus grande. C’est ainsi que pour certains la communauté conquise peut être le quartier, le village, le campus, pour d’autres la région, le pays, et pour les plus fameux, le continent et le monde. Et jusque là, ça ne suffit pas, car bien souvent, au-delà de l’argent ponctuellement gagné, des awards glanés, le plus dur n’est pas d’ être grand aujourd’hui, mais comme Manu Dibango ou Bob Marley, de l’être le plus longtemps possible, au-delà de plusieurs générations.