Le 08 Avril 2023 au Starland Hotel de Douala, s’est enfin tenue la toute première édition de la DOMAF Fashion Night, un nouveau rendez-vous qui va être incontournable pour les créateurs de mode du pays et de la sous-région. Investi dans des conditions optimales de grands runways internationaux, avec le son, la déco et les nuances de lumières adaptés, cette nuit de la mode aura tenu son pari d’être au-delà d’un défilé, un enchaînement de performances calibrées avec près de 60 mannequins, pour éblouir les 350 invités composant une communauté variée : des artistes comme Salatiel, Isis Kingue, Kareyce Fotso, Blick Bassy, AdangoTeety Teezano entre autres, mais aussi des diplomates, des hommes d’affaires …

DJ Massoda

Après l’introduction par les notes sonores du musicien Samy Mahop perché au piano et les déhanchés de la danseuse contemporaine Agathe Djokam et son agilité renversante, ouverture époustouflante par le collectif BCS in You, avec les voix de Bonas Fotio et Pierre Belinga aux micros de présentation, sur le fond de la prestation de l’artiste chanteur Mounpoubeyi, donnant une voix militante au concept « True To Myself ». une collection XXL pleine d’originalité mais surtout haute en couleurs, en formes et en matières, traduisant l’importance pour chacun d’être vrai avec lui-même dans le réflexe écologique du respect de la planète, dont le salut passe forcément par le recyclage et la lutte contre la surproduction. A eux seuls, 30 mannequins, arborant des tenues exprimant à la fois la liberté et la sobriété, la simplicité et l’extravagance. Applaudissements fort nourris pour les trois membres du collectif Brysse Style, Chris l’Italien et Skyday, dont l’empreinte afrofuturiste et le travail sur le futur ancestral sont de plus en plus une signature connue.

A la suite, Sénas, collection pleine de grâce féminine de la Teranga proposée par Sargane venue tout droit de Dakar, Sénégal, où les femmes ont un rôle essentiel dans l’artisanat textile et de la création de mode. En rose, violet ou vert, et sur les musiques de Youssou Ndour et les notes vocales de Herbert Sigha, co-fondateur du DOMAF et slameur d’un jour, défilé de sublimes robes et boubous en soie, organza, broca et bazin pour habiller la femme d’aujourd’hui et de demain, comme Michèle Ange Minkata la Miss Cameroun 2016. D’ailleurs Sénas c’est le petit nom de la grand-mère de la promotrice, qui a initié toutes les femmes de sa famille à la mode.

L’initiation à la royauté était au cœur de la collection I.D. de la marque E.King proposée par Chris E.B. Très attaché à la noblesse royale dans la culture africaine en général et sawa en particulier, EKing nous a embarqués vers cette thématique une fois de plus, sur une musique griotique originale du jeune chanteur Elamè. En blanc, beige, vert et couleur olive, des tuniques, ensemble chemise pantalon et autres en lin, coton et raphia pour réveiller la Reine ou le Roi qui sommeille en chacun de nous.

Paniefique Bag propose des vêtements, des accessoires et surtout des sacs pour un seul but : nous rendre uniques ! Qu’il s’agisse des panchos pour les soirs un peu froids, les sacoches pour laptops ou encore les sacs pour voyages, Patricia Boowen la créatrice, procède toujours à un mélange entre le jean et d’autres tissus, en restant le plus loin possible de l’empreinte carbone, à travers l’upcycling. Arrivée dans la mode en autodidacte, la célèbre manager d’artistes et organisatrice d’évènements nous embarqués sur les sons de Black Box, Krotal, poussés par DJ Massoda, dans un voyage à la (re)découverte de l’authenticité, avec la participation exceptionnelle de Freddy Manyongo. Également responsable de la régie du défilé, son travail acharné dans la préparation des mannequins et les circuits, a permis de donner à la soirée une fluidité séduisante. Et puisqu’il est aussi styliste, sa performance aux airs de Maestro avec sa marque Noirata a permis de mixer la spiritualité embarquée par du gospel de la culture sawa, et ses tenues qui de sa proclamation ne sont jamais de simples vêtements. Lorsqu’il met ses doigts aux crayons et aux ciseaux pour anoblir le lin, le mikado, le bogolan, la soie, il en fait des œuvres d’art pour habiller les hommes et les femmes qui aspirent à la classe et à la différence.

Depuis 13 ans maintenant, la jeunesse africaine et du monde se retrouve à Douala pendant 4 jours sur la scène du Douala Music Art Festival pour célébrer la richesse culturelle du Cameroun et du continent, à travers la musique, à la danse, aux arts visuels et surtout à la mode, une arme de construction identitaire redoutable. Au-delà du plateau mode qui existe sous forme d’une scène de diffusion des créateurs à travers les défilés et un espace d’exposition vente, et au-delà de l’évènement né derrière le DOMAF pour célébrer le vêtement africain, la Mboti Week, ce nouveau plateau, la DOMAF Fashion Night, se propose d’être « le rendez-vous majeur des créateurs de mode au service de l’authenticité » comme l’a indiqué Herbert Sigha lors de sa prise de parole.

Selon les derniers chiffres de l’Unesco, les industries culturelles et créatives génèrent 2250 milliards $ et 3% du PIB global annuel. Mais l’Afrique n’en bénéficie que très faiblement malgré les immenses talents que génère le continent. L’industrie de la mode et du textile est le deuxième secteur le plus important après l’agriculture en Afrique, ayant une valeur de marché estimée à 31 milliards de dollars en 2020 et croissant à chaque année. Ce chiffre pourrait accroitre si les investisseurs s’intéressent davantage à ce secteur afin de l’amener du simple artisanat vers une véritable industrie. Cela ne changera pas si le continent continue de « s’habiller en jean Levi’s et donc de donner les capitaux ailleurs alors qu’il y a du potentiel sur place » comme l’a rappelé Didier Toko, directeur artistique et de production de la fashion night, directeur du DOMAF et du Up High Lab, le laboratoire créatif qui fabrique le Douala Music Art Festival et ses plateformes connexes.

« La cuisine du Up High Lab travaille au quotidien à imaginer et créer des contenus comme cette soirée, qui reflètent le meilleur de nous en tant que peuple » a martelé Michael Epaka, responsable administratif du lab. Investir dans la mode en particulier et dans les ICC en général, au-delà de la contribution à la construction de notre identité africaine, c’est créer de nouveaux débouchés pour des millions de jeunes talentueux et créatifs, que les secteurs professionnels classiques ne peuvent pas absorber sur le marché de l’emploi. Inéluctablement, de Pathé’O à BCS in You, de Virgil Abloh à Sargane, de Imane Ayissi à PBag, de Alphadi à E.King, de Claude Kameni, Adama Paris à Noirata, le développement de l’Afrique passera aussi par la musique, le cinéma, les médias, la science, la technologie, et surtout la mode, au service de notre authenticité.

Les créations proposées ce soir-là sont les pages ouvertes des cœurs de jeunes africains qui exposent leur idéal de l’humain et de l’Afrique. Un idéal où le travail commun est impératif car comme l’ont toujours pratiqué nos pères fondateurs, une seule main n’attache pas le Koki. Immense Merci à Stépjane Nounamo et à Sortir à Douala pour les magnifiques photos.