La dernière fois que j’ai vu André Marie Tala sur une scène, c’était le soir du samedi 01er Mai 2021, lors de la finale de la saison 3 de The Voice Afrique Francophone, diffusée sur Vox Africa (Canal 43 du bouquet Canal + Afrique). Toujours armé de son inséparable guitare, il interprétait une ballade de sa mine de classiques, Sikati, avec à ses côtés un jeune candidat, Gyovanni, bien conscient de l’héritage qui lui était ainsi transmis.

Le titre Sikati est présent sur l’album Hot Koki. Un des piliers de la carrière de André Marie Tala. Car si cet album sort en  1975, son titre éponyme Hot Koki, avait déjà retourné les dancefloors depuis 1973. Cette année là justement, la superstar et Dieu de la Funk est en tournée africaine, et s’arrête pour une date à Douala. Dans la salle du concert, à l’Hôtel Le Cocotier (l’actuel Douala Rabingha, ex Méridien), le jeune André Marie Tala, 23 ans, qui n’a pas quitté son Bandjoun natal pour venir jouer à Douala, s’empresse à la sortie des artistes pour remettre lui-même à mains propres au King, sa cassette démo. Il se rêve déjà d’une carrière aux states, grâce au grand-frère James Brown qui à l’époque est au sommet de son art, un redoutable phénomène mondial. Il ne s’imagine pas que l’auteur de Sex Machine  va en faire un usage inattendu. Car en 1974, un jour, il entend à la radio, un morceau intitulé Hustle, dont la mélodie et la musicalité ressemblent trait pour trait à sa chanson Hot Koki.  Il n’apprécie pas ce qu’il considère comme un pillage, et décide de porter plainte, malgré les dissuasions de gens de son entourage qui se demandent comment il pourra gagner un monument comme James Brown. En 1978, après quatre années d’âpres combats juridiques, la justice lui donne raison et condamne alors James Brown à lui reverser la totalité de ses droits.

La qualité sonore du disque Hot Koki, est un peu due à Manu Dibango, qui en En 1972, lui a conseillé d’aller enregistrer en France. « Il m’a accueilli et présenté aux gens de la maison de disques Decca, avec qui il venait d’enregistrer le tube Soul Makossa”. Pour Fiesta, sous-label africain de Decca, André-Marie Tala gravera une poignée de succès, dont Sikati, Potaksina et Na Mala Ebolo (120 000 disques écoulés). Manu et lui travailleront souvent ensemble, comme sur la compilation Les Fleurs Musicales du Cameroun produite par Manu Dibango en 1980 avec le soutien du Ministère de la Culture du Cameroun, et qui comporte les titres Mbeng Ndam Ha et Namibie d’André Marie Tala.

L’histoire de André Marie Tala est faite de ce type d’évènements, incroyables et déterminants. En 1977 par exemple, Claude François, la superstar de la pop française est en concert au Cameroun, et partage la scène avec des noms comme Jean Bikoko Aladin, Manu Dibango, mais surtout André Marie Tala. Cette Année-là, le chanteur français est impressionné par le talent de ce jeune artiste qui est non-voyant depuis l’âge de 15 ans. Il lui proposera même de le rejoindre en France et s’y installer, pour qu’il le signe sous son label Flash Musique. Les évènements se passeront tragiquement d’une autre manière, Claude François meurt en Octobre de la même année…

Son histoire avec le benskin est tout aussi touchante. Dans les années 90, il souhaite proposer autre chose que son Tchamassi habituel. C’est son arrangeur, le pianiste Justin Bowen qui trouve le déclic, en lui demandant de créer une vibe à partir d’un rythme traditionnel encore méconnu du grand public. André Marie Tala se souvient alors d’un air qu’il a souvent joué, et qui est très pratiqué dans le département Ndé à l’Ouest Cameroun, et qui très souvent joué par les ressortissants cette région région, avec des tam-tams et des maracas, lors des festivités ou à la sortie des réunions communautaires au quartier New Bell à Douala. Il s’agit du Benskin. Et c’est lui qui va en faire une exposition internationale avec l’album-concept qui devient un immense succès, Benskin

Travaillant ainsi avec sérieux et détermination, il s’est maintenu en tête des hits parades, et a inspiré plusieurs générations d’artistes à travers le monde. Récemment, tantôt repris par Jovi ou Boytag, tantôt collaborant avec Coco Argentée, André Marie Tala demeure une lumière sur la scène de la musique africaine, plus de 55 ans après son premier titre J’ai Faim. Il vient de sortir avec Kareyce Fotso un nouveau single intitulé Ke Lomo Sim. Dans ce morceau, les deux artistes prônent le respect de la vie privée, dans une époque où les gens ont tendance à tout étaler sur la place publique.