Un jour, alors que j’étais en début de carrière en radio à Douala en 2011, Manu Dibango a interrompu ses répétitions pour m’accorder une interview, qui a changé ma perception du métier.
C’est tellement gênant d’imaginer la mort de Manu Dibango. Tellement son nom s’est inscrit dans l’éternité. 60 ans de carrière, d’une carrière pratiquée dans la haute excellence, ça ne passe pas inaperçu. Il est tellement bien rentré dans la culture populaire de la planète, qu’on se dit sans doute aucun, qu’on vivra toujours avec Manu Dibango. Il n’est prévu dans aucun chapitre qu’il ne soit pas de ce monde à un moment. Raison pour laquelle toutes les générations ressortent une photo témoin d’un instant passé avec Tonton Manu. C’est pourquoi on a tous quelque chose de Manu Dibango. Soit parce que sa carrière est la bande son de nos vies depuis toujours, soit parce qu’on a eu la chance de partager un bout de sa fabuleuse vie de Demi-Dieu.
Ma chance, je l’ai eue en 2011. J’étais un jeune animateur de radio payé par la passion, en début de carrière. Evidemment, Manu Dibango était pour moi un sujet de curiosité énorme, tant son histoire est fascinante. A l’époque, il était en contrat avec la marque de Whisky Johnny Walker, dont il était Brand Ambassador. C’est dans le cadre de cette collaboration, et en plein lancement de son album Past Present Future, qu’il devait se donner en concert au Restaurant Le Bojolait à Bonanjo, le quartier administratif de Douala. En me renseignant, j’avais appris qu’il finaliserait ses répétitions à quelques heures de sa prestation.
L’idée au départ était d’aller prendre RDV avec lui, pour l’interviewer plus tard, mais j’avais quand même préparé des questions et un dictaphone – celui d’une collègue, au cas où. Autour de 16h ce jour-là, je me suis rendu sans rendez-vous au Boj. Et effectivement, Manu Dibango était là. En pleine répétitions. Le voir comme ça, devant moi, en chair et en os, pour la première fois, m’a intimidé. Je dirais même déstabilisé. Je me suis rapproché d’un visage qui m’était familier, celui de Jean Pierre Essome, le chanteur. Quand je lui ai dit que je souhaitais interviewer Manu. Il a éclaté de rires. J’ai d’abord pensé qu’il se moquait de moi. Mais par la suite il m’a dit « mais si tu veux interviewer Manu, bah vas-y directement à lui ». Je suis donc enfin allé me placer devant le géant « homme chauve ». Oui, il faut savoir qu’au Cameroun, au-delà de son travail musical, le look de Manu Dibango était en soi une vraie légende. Sa coiffure kongolibong – se dit ainsi d’une personne chauve ou rasée en boule zéro au Cameroun, alimentait toutes sortes de fake news. Les plus superperstitieux avaient conclu que l’auteur de Soul Makossa avait vendu ses cheveux au diable pour percer dans la musique…Lol.
De sa voix caverneuse, il me dit « bah écoute, si tu veux on peut faire ça ici tout de suite hein« . Je n’en revenais pas, Manu Dibango, la plus grande star camerounaise de la musique, venait de me tutoyer et me donnait ainsi une occasion inespérée de l’interviewer tout de suite. Pendant que l’autre chauve, Jean Pierre Essome, essayait de trouver un coin tranquille au milieu du Boj, en chantier préparatoire du spectacle du soir, et que je checkais le dictaphone pour m’assurer qu’il fonctionnait bien, Manu décida de changer d’avis : « Jean Pierre je pense qu’il vaudrait mieux sortir d’ici et trouver un endroit plus calme. Il y a trop de bruits ici. Tu sais je fais aussi de la radio hein » enchaînant en « hahahahaha » avec son rire bien connu. En effet entre deux concerts, Manu Dibango a co-animé jusqu’à la fin de ses jours, l’émission « La discothèque de Manu Dibango », avec Robert Brazza chaque dimanche matin sur Africa Radio Paris.
A pieds, on traversa tous ensemble la rue pour se retrouver dans un petit café légèrement en face du Boj, où on prit place. Avec son vieil ami le Professeur Do Kaye, un égyptologue que beaucoup connaissent à Douala, et son autre vieux pote le célèbre chanteur Henri Njoh, il se mit à raconter un vieux souvenir de 1977, au sujet d’un concert où Michel Fugain l’avait présenté comme un bel exemple de l’exportation de la « chanson française »… Tous en rièrent, et Manu marqua une pause pour me demander « hahahaha tu enregistres déjà » ? Evidemment que j’avais déjà activé la touche Record.
On se lança alors dans l’ échange proprement dit. J’avais préparé un protocole d’interview, mais c’était difficile de le ramener sur la ligne prédéfinie à chaque fois, tellement chacun de ses propos était pertinent. On a parlé de long en large de sa vie. Pas trop largement quand même, parce que moins d’une heure c’est ridicule pour aborder la vie de l’homme avec qui l’ère moderne de la musique africaine a commencé. Il m’a confirmé qu’en débarquant à Marseille en 49, il avait effectivement des bâtons de manioc dans son sac, et 3 kilos de café qu’il devait vendre pour financer ses études. Etudes qu’il va vite mettre entre parenthèses pour s’intéresser au piano. Ce qui ne manqua pas de vexer ses parents qui décidèrent de lui couper les vivres. Mais 10 ans plus tard, lorsque les pays Africains accèdent à l’autodétermination, sur la bande son « Indépendance Cha Cha » de Joseph Kabasele, avec Manu Dibango dans la célèbre troupe de l’African Jazz, comme tout le monde, papa et maman tombent sous le charme… De sa voix unique, il raconta aussi tout en riant, le différend avec Michael Jackson concernant la reprise non autorisée de Soul Makossa, précisant que pour le dénouement, un arrangement avait été préféré à un interminable procès. Toujours sans que je ne le questionne sur le sujet, il aborda aussi la question de son âge. Disant que son secret pour ne pas se fatiguer avec le temps, c’était de se considérer comme un débutant, au sens propre du terme parce qu’à chaque époque arrivent de nouveaux codes qu’il faut comprendre pour ne pas avoir l’air ringard. Et qu’ il faisait beaucoup attention à sa santé, car sa plus grande peur n’était « pas la mort, mais d’imaginer qu’un jour je ne puisse pas me lever pour aller jouer au saxophone et pratiquer ma passion » …
Voilà comment pendant un peu plus d’une demi-heure, Manu Dibango avait donné le privilège à un animateur de radio sans réputation d’avoir l’une des plus belles expériences de sa carrière. Alors qu’on n’avait aucun rendez-vous préalable, et malgré qu’il était dans le rush de la préparation de son concert, le plus grand ambassadeur de la culture camerounaise dans le monde, venait de sacrifier un temps précieux pour répondre aux questions d’un débutant. C’était pour moi une immense preuve d’humilité de la part de quelqu’un qui avait tout réussi dans la vie. J’ai diffusé cette interview une fois dans mon émission sur la RTM Radio où je travaillais. Malheureusement par la suite, l’équipe technique me fit savoir qu’un virus avait attaqué le serveur du studio, et j’avais ainsi perdu le fichier.
Et comme un signe un peu magique de son rayonnement, le mois d’après, en début année 2012, la direction de la chaîne m’a proposé de signer le tout premier contrat de ma carrière … Merci Manu.
L’année 2025 a un programme de concerts moins vide pour certains des artistes musiciens camerounais vivant au Cameroun. A l’extérieur du pays comme à l’intérieur, des concerts sont organisés pour mettre en lumière le travail de ces stars. Après Salatiel au stade de Molyko à Buea et Tenor au Roumde Adjia Stadium de Garoua en février, Kocee au Canal Olympia Douala et Locko à Bruxelles en mars, Ben Decca à l’Olympia de Paris en avril, Cysoul en avril et Lydol en mai au palais des congrès de Yaoundé, Petit Pays au Palais polyvalent des sports de Yaoundé en mai aussi, Vanister compte réunir ses fans dans ce même Paposy le 12 juillet 2025, sous le thème « Pourquoi pas Toi ? » Mais qui est réellement Vanister, le Camerounais champion de la bonne humeur ?
Vanister Enama, une identité complexe
Vanister Enama, est un artiste camerounais, chanteur, rappeur et slameur, producteur de musique, né le 12 mars 1995 à Sangmélima. Il est très attaché à son authenticité : « Je ne peux pas vivre dans la peau de quelqu’un d’autres car j’ai ma propre vision » revendique – t -il dans featuring « Donne Moi l’Argent » avec le rappeur Kocee. Son vrai nom relève d’une histoire compliquée qu’il a expliquée en partie en 2024, lors d’une émission sur la chaîne camerounaise SUN+ tv : « Je suis Bassa, mais je ne parle pas la langue. Vanister Enama Fidèle, ce n’est pas mon véritable nom. Après le décès de ma mère, on nous a refait les actes de naissance, je crois que c’était en 2003 alors que je suis né en 1995. Mon petit frère, celui qui me suit, qui s’appelle Germain, il s’appelait Ndjock Germain, on a changé son nom, on l’a appelé Mbida. Moi, on m’a appelé Enama Fidèle, parce que mes parents n’étaient plus là. Or le nom qu’ils m’avaient donné à ma naissance c’est Pagbe Jean de La vie »expliquait-il alors à Yolande Bodiong. Pourquoi sa famille a-t-elle changé son identité et celle de son frère ? On ne le sait pas encore.
Vanister, la fugue, la rue et la guitare
Orphelin dès l’âge de 7 ans donc, Vanister Enama a dû quitter l’école et travailler pour survivre. D’après son propre témoignage, la perte de ses parents lui a créé un grand vide, rempli de souffrances : « Je n’ai pas souvent l’habitude de le dire. J’ai été extrêmement mal…traité quand j’étais petit. J’ai été bas…tonné toute une nuit et puis ligoté à une chaise par mes propres oncles. J’ai été souvent frappé à sang […]. Je fuguais beaucoup parce que j’avais peur de la bastonnade. Quand mes oncles nous frappaient, c’était avec la dernière énergie » raconte-t-il en interview. C’est dans la rue qu’il va d’ailleurs apprendre la guitare en autodidacte.
Lauréat du Hip Hop Talent Search
Il va aussi beaucoup lire, car ce qui l’intéresse en musique, au-delà de la vibe, c’est surtout les mots. Il aura d’ailleurs une grande affection pour des paroliers comme Francis Cabrel, Donny Elwood, Lokua Kanza, Ottou Marcelin, ou JB Mpiana.
Il écrit et compose ses premières chansons à partir de 2013, et se porte candidat à tout ce qu’il trouve comme compétitions musicales. Il participe surtout au concours de révélation de talents de musique urbaine Hip Hop Talent Search en 2017, en tant que slameur. Il sortira vainqueur de ce music contest organisé par ACH4LIFE, qui avait déjà révélé des artistes comme le rappeur Mink’s.
Vanister, le roi de l’impro
Au-delà de cette victoire, pour faire connaître sa musique, Vanister va utiliser une arme de son temps : les réseaux sociaux. Fort en impro, il se sert de sa guitare et de son verbe pour créer des chansons très rimées, performances qu’il filme en vidéo et poste sur les réseaux sociaux. La recette marche, et lui construit une communauté digitale, notamment durant la période COVID où la vidéo est très consommée sur la toile. Ses textes abordent des thèmes sociaux, politiques et parfois très personnels. Ses improvisations sont souvent aussi des moments pour célébrer des personnalités, mais aussi son pays. Si son premier single enregistré est une satire sur le manque de pièces de Monnaie sur un fond d’afrotrap, il va mieux capter l’attention du public avec le titre Camerounais et Fier en 2020, sous la direction artistique d’Armand Biyag. Sa mélodie apaisante et son texte patriotique sont salués par beaucoup de camerounais à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. La CAN 2021 en début 2022 au Cameroun, apportera un boost supplémentaire à cette démarche.
Vanister l’ambassadeur, fierté de Samuel Eto’o
En 2022, il fait partie des artistes et influenceurs qui se rendent au Qatar pour soutenir les Lions Indomptables, à la 22ème Coupe du Monde de football. Si le Cameroun s’arrête au premier tour malgré un match spectaculaire contre la Serbie et une victoire mémorable contre le Brésil, Vanister tire son épingle du jeu. Ses improvisations sont très appréciées par le public présent à Doha. Il est sollicité par plusieurs médias internationaux comme RFI, Be In Sport ou Equinoxe Television pour des interviews, et par des influenceurs qui le filment et publient son travail. Il devient alors une sorte d’Ambassadeur du pays de Vincent Aboubakar, ou de Samuel Eto’o qu’il rencontre fin 2023. « Je suis très fier de toi, je te suis fidèlement » lui confie le légendaire footballeur et président de la Fécafoot. En même temps qu’il continue à sortir des singles sous le management et la direction artistique du label War Machine, il fait régulièrement des voyages en Afrique, en Europe, aux Antilles, aux Etats-Unis, où il est invité par des camerounais de la diaspora, et aussi des promoteurs issus d’autres pays, pour des prestations lors de soirées privées, des fêtes d’associations ou en club.
Un album de 35 titres et un refus de Richard Bona
Le 05 avril 2024, sous son label VA Music Production, l’artiste sort un projet audacieux : un album de 35 titres, comportant la majorité des morceaux dont il a sortis les clips depuis un an. L’opus 50% a aussi une longue liste de collaborations nationales et internationales, des artistes qui ont croisé sa route depuis ses débuts : Aloch 237, Mulukuku DJ, le groupe Révolution, Richard Amougou, Roger Samnig (X-Maleya), Sandrine Nnanga, Tenor, Dj Gérard Ben.
Il aurait peut-être souhaité avoir également Richard Bona sur cet album. Mais le « Ninja » n’aurait jamais accepté de toute façon. En Mai 2024, en séjour aux Etats-Unis, Vanister avait émis via un post facebook, le vœu de rencontrer le célèbre bassiste et jazzman américain d’origine camerounaise, dont la virtuosité musicale a la même hauteur que son discours critique contre les dirigeants camerounais qui selon lui maintiennent le pays où il a grandi, dans le sous-développement. Le musicien natif de Minta a rappelé à Vanister une improvisation antérieure dans laquelle « Man Akonolinga » lui reprochait d’insulter le Cameroun. Vanister avait estimé dans sa vidéo, que parler mal du Cameroun, c’est comme « renier ta maman, celle qui t’a mise au monde». Richard Bona n’avait clairement pas apprécié. Malgré les excuses de Vanister, il avait maintenu son refus de le rencontrer, supposant que Vanister serait commissionné par ses ennemis de Yaoundé…
Des sentiments en contorsion
Fin 2024, une affaire avait débarqué sur les réseaux sociaux, dans laquelle une internaute connue sous la page « Jolie Poupée Ekang » accusait Vanister de l’avoir escroquée à hauteur d’un peu plus de trois millions de FCFA. Le chanteur avait répondu dans une vidéo que la dame lui faisait du chantage parce qu’il aurait refusé ses avances. Interrogé par l’animateur Klaurel Kegne sur SUN+ TV, il ajoutera que la dame en question aurait « tenté de faire l’amour avec » lui un soir au sortir d’une longue journée de tournage de clip. Il explique aussi qu’elle ne lui a jamais donné autant d’argent, à part une aide de 50 000 xaf qu’elle lui aurait faite. En résumé d’après lui, il n’a a jamais eu de relation intime avec cette. Depuis, Vanister affiche publiquement sa relation amoureuse avec Cindy, une danseuse et contorsionniste que le chanteur publie régulièrement sur ses réseaux sociaux. Ils seront sans aucun doute ensemble pour son concert live, son premier concert grand public, au palais polyvalent des sports de Yaoundé le 12 juillet 2025.
A Paris chaque jour de lundi à vendredi de 16h à 20h, il anime sur Skyrock le show radio le plus écouté dans toute la France par les jeunes qui kiffent le Hip Hop, le rap, les culture urbaines, et les cadeaux. C’est le pitch du 16-20 drivé quotidiennement par M’rik depuis 2019. En juillet 2023, il nous a reçus en pleine production live de l’émission. Entre deux relances, il nous a parlé de sa vision, de son amour pour la radio, du Cameroun où tout a commencé à seulement 8 ans, grâce à Moïse Bangteke. Focus sur M’rik, une vie de radio de Douala à Paris.
Porté par une percutante carrière de rappeur dont l’influence perdure sur plus de deux décennies déjà, et fort de son expérience de music executive en tant que producteur d’artistes et de spectacles à la tête d’Empire Company, et aujourd’hui Directeur du Label & Publishing chez Universal Music Africa, Pit Baccardi est une référence en Afrique Francophone quand il s’agit de développement de l’industrie musicale. Normal s’il est donc le Directeur des Opérations de la toute première édition du SIMA, le salon des industries musicales d’Afrique Francophone, qui arrive les 17 et 18 Novembre 2022 au Sofitel Ivoire Abidjan en Côte d’Ivoire, sous le thème « A l’ère de la digitalisation, quels enjeux pour l’industrie musicale? ». Après Edgar Yonkeu qui nous a partagé les pistes de sujets qui seront abordés à ‘évènement concernant le streaming, Pit Baccardi a répondu aux questions de Bonas Fotio dans Le Bon As Radio sur Sweet FM à Douala concernant le déroulement des deux jours du SIMA, auxquels les participants peuvent s’enregistrer via www.sima-online.net. Bonne écoute !
Armel
31 mars 2020 at 20 h 58 min
Très intéressant LEBONAS !
C’est quand Manu meurt que moi je suis au courant qu’il avait 87 ans. Je me disais qu’il était encore [60-70[ comme ça.
Ce virus qui avait attaqué le serveur mérite la pendaison heinnn.
Bonas
31 mars 2020 at 21 h 28 min
Merci beaucoup Armel. Eh oui, hélas, le virus faucheur l’a emporté.